Du sanctuaire de Lige-Feu au cauchemar de Mensis : polyphonie et polysémie des espaces vidéoludiques du studio From Software
Alban Benoît-Hambourg est doctorant en Histoire de l’art à l’École du Louvre de Paris
Le studio de développement From Software, fondé en 1986, sort son premier jeu vidéo en 1994 avec la franchise de jeux de rôle King’s Field sur Playstation1. À celle-ci s’ajoute en 1997 Armored Core sur la même plateforme, centrée plutôt sur des combats de mecha2, parmi d’autres productions. Cependant, nous nous intéresserons surtout à l’ensemble que forme la trilogie Dark Souls (jeux édités en 2011, 2014 et 2016) ainsi que Bloodborne (2015). Ces quatre jeux constituent une certaine unité soutenue par une direction incarnée par Miyazaki Hidetaka3 ; et cette unité concerne de nombreux éléments dans une démarche plastique, iconographique, mais aussi mécanique. La conception de l’espace par les équipes de développement, ainsi que les mécaniques de déambulation et d’appropriation de celui-ci par les joueurs permettent de réunir ces trois conceptions.
Le cadre de la fantasy se plaît à considérer les cartes géographiques comme un outil de ses cosmogonies, et surtout comme support d’une topographie permettant une cohérence, ou du moins une cohésion de l’univers déployé. Malgré le contexte médiéval fantastique de notre corpus, celui-ci triche et joue avec cet héritage. Les espaces tracés par la création vidéoludique permettent une double surface d’analyse. En effet, le level design accorde un ensemble de règles qui dessinent des bornes physiques nécessaires à tout territoire, et un cadre plus réflexif, iconographique, propre à tout univers. La seconde surface concerne les joueurs, au départ naïfs face à ces espaces qu’ils doivent appréhender et expérimenter selon leurs propres codes et pratiques, ainsi que la liberté que le game design leur offre. La trilogie des Dark Souls suivie de Bloodborne refusent d’emblée le soutien d’une carte afin de cadrer le cheminement des joueurs. Dès lors, d’autres ressorts et capacités s’avèrent nécessaires afin d’assurer la préhension de l’espace par ces derniers : en tant que distance à parcourir, mais aussi en tant qu’univers à comprendre.
Cette étude tâchera de démontrer dans quelles mesures ce corpus déconstruit ou trouble un certain héritage fondé sur la succession de niveaux ou de donjons, et s’écarte habilement d’une attente contemporaine nourrie par la large offre des « mondes ouverts ». En effet, lorsque les frontières entre différents territoires physiques et imaginaires sont floues, lorsque la cartographie est complexe et que le cadre de progression est fondé sur l’errance, il incombe aux joueurs de dessiner leur propre parcours, de former leur propre quadrillage spatial et de modeler leur propre itinéraire interprétatif. C’est dans ce cadre de « narration environnementale » que l’exploration, la borne et l’analyse de l’espace accessible deviennent la pierre angulaire de l’expérience de jeu. Nous nous attacherons à considérer comment une « socialisation » avec l’espace est possible et surtout nécessaire afin de mieux appréhender une boucle de gameplay, et parvenir à surpasser les épreuves du jeu, de l’écart face à un piège jusqu’à la prise d’avantage sur un ennemi. Plus largement et plus fondamentalement, l’espace déployé permet de construire une synergie narrative et interprétative, qui est fondamentalement possible grâce à cet effort de la part des joueurs4.
La dramaturgie du décorum : construire l’action par la topographie
Le level design rassemble les bases physiques sur lesquelles notre avatar et son entourage vont évoluer, suivi d’éléments de décor via une direction artistique qui décrivent une ambiance, une atmosphère. L’utilisation d’une carte permet une première étape de cadrage de cet espace, en inscrivant visuellement le chemin déjà entrepris, celui qu’il reste à faire, ainsi que de possiblement orienter et modérer le regard des joueurs en leur révélant les rapports d’échelle entre les territoires à visiter. Le cadre d’acheminement de l’avatar dans ce corpus de jeux vidéo frustre cette attente, premier indice discret d’un monde dont la physique ne semble pas proche de celle des joueurs, et que la notion même d’espace ne paraît pas répondre à une physique qui serait exactement calquée sur la nôtre. L’introduction des joueurs dans les univers des quatre jeux évoque rapidement une aventure sous le signe de l’errance.
Dès le début de Dark Souls premier du nom, et quelque peu dans les deux opus suivants ainsi que dans Bloodborne, les joueurs sont amenés à comprendre qu’il ne s’agira pas de suivre une succession linéaire de niveaux, mais un labyrinthe qui entremêle différentes régions et espaces de jeu, avec des accès permettant de les relier entre eux5. Le déroulement du jeu peut presque se découper en actes, cinq moments qui seront servis par la géographie et le décor, mais plus largement par la mise en scène et la mise en action d’espaces distincts :
- Acte 1 : Le Refuge Nord des morts-vivants (introduction, tutoriel)
- Acte 2 : Lordran. Le Sanctuaire de Lige-Feu et les deux cloches de l’Éveil (élément perturbateur, révélation de l’ethos du héros et des tenants de sa mission)
- Acte 3 : La Forteresse de Sen et Anor Londo (accomplissement du héros qui est reconnu comme le potentiel libérateur du déclin du monde)
- Acte 4 : Les quatre âmes de seigneurs (péripéties qui rapprochent le héros, « niveau après niveau » de son but : être assez puissant pour vaincre et prendre la place de la force déclinante qui régissait ce monde jusqu’alors)
- Acte 5 : Kiln de la première flamme et Gwyn, seigneur des Cendres (Boss final, résolution du drame, révolution de l’ordre établi)
Il est possible de former deux ensembles avec l’acte 1, 3 et 5 plus linéaires, qui permettent de donner et redonner un élan lorsque les actes 2 et 4 laissent les joueurs dans des phases de jeu plus éclatées et avec davantage de zones à explorer. Cette structure n’est pas complètement originale, elle trouve possiblement sa source dans la licence The Legend of Zelda, et se retrouve tout particulièrement dans The Legend of Zelda: A Link to the Past (1991, édité et développé par Nintendo). Pourtant, les créateurs de Zelda ont toujours eu à l’esprit que les joueurs ne devaient pas se sentir perdus, engendrant ainsi des mécaniques permettant de les guider assez sensibles au cours d’une partie. Le directeur de Dark Souls révèle que leur « but était de permettre aux joueurs de faire ce qu’ils ont envie, de définir leurs propres objectifs, faire leurs propres découvertes, suivre leurs propres valeurs, et faire des interprétations personnelles. Être perdu a donc de l’importance. Trouver son chemin donne de la valeur et du sens »6. Un certain cheminement est tout de même suggéré aux joueurs, comme un parcours qui paraîtrait logique et amènerait à entreprendre la majorité des zones et des épreuves qui leur sont liées. Mais il est donc possible d’entreprendre les choses « dans le désordre » et parfois même de passer outre énormément de contenu, donc d’espaces créés qui ne seront jamais connus par les joueurs. Ce principe posé dans l’expérience de Dark Souls est conservé pour les opus suivants, malgré un découpage en « actes » moins aisé à établir pour Darks Sous 3 et Bloodborne, dû à un « scénario » entrepris différemment et surtout à des mécaniques de progression quelque peu différentes, que nous évoquerons dans la suite de cet article.
L’expérience des joueurs peut les amener à visiter des régions sans pouvoir parfaitement les compléter, une action précise ou un objet étant nécessaire à l’accomplissement de la zone. Mais il ne s’agit jamais véritablement d’une impasse engendrant une frustration ou une déception au profit d’une invitation adressée aux joueurs, plutôt de la « suite » de l’aventure sur un nouveau territoire qui se dessine (le chemin est dès lors balisé en quelque sorte, ce qui constitue une étape fondamentale dans l’expérience de jeu)7. À cela s’ajoutent des zones et boss optionnels qui peuvent donc être complètement laissés de côté, puisqu’ils n’ont aucun impact sur la structure globale et le déroulement de la quête du protagoniste. Cet enchevêtrement des espaces et des actions possibles dans la progression est soutenu par un réseau d’entrées secrètes, de raccourcis, et de chemins parallèles proposés aux joueurs, qu’ils peuvent prendre ou non, afin de relier des régions qui tâchent d’être clairement distinctes dans leur esthétique et leurs épreuves. Il est pleinement question d’opportunité, de chance quelquefois, et d’un positionnement des joueurs face au scénario, à leur pratique du jeu vidéo en soi, et leur volonté de se confronter à certaines choses plutôt que d’autres (par exemple, le combat, des quêtes annexes liées à des personnages, et/ou l’exploration de l’entièreté des espaces créés avec leurs ramifications).
Cette organisation est rendue possible par le Sanctuaire de Lige-Feu (qui devient le village de Majula dans Dark Souls 2), qui dans le premier opus forme une base, un hub (formant un réseau en étoile) qui offre dès le début au moins parcours d’exploration8. Ces deux chemins permettent d’atteindre deux cloches que notre personnage est censé faire sonner (ce que nous désignions plus tôt comme l’acte 2), mais aussi déjà d’autres zones explorables en partie ou complètement, au risque de ne pas savoir exactement à quoi nous allons nous confronter. Il est par exemple possible de renverser un des quatre boss attendus normalement dans l’acte 4, pour peu que le joueur se soit aventuré dans des régions sans doute peu adaptées à un bas niveau à ce moment de l’aventure. Le cheminement « prévu » est donc simplement suggéré par le level design, qui repose sur un axe vertical et presque uniquement sur des notions de hauteurs et de profondeurs.
Osciller entre cimes et gouffres
Dès l’arrivée à Lige-Feu, les joueurs sont tentés de se diriger vers le peu de présence humaine qui pourrait apparaître comme une source d’informations directe sur ces nouveaux espaces à parcourir et les défis qui pourraient les habiter9. En particulier le « guerrier découragé » qui apparaît dans un coin de l’image à la fin de la courte cinématique d’arrivée au sanctuaire. Les dialogues quelque peu cryptiques avec ce personnage sans identité précise annoncent déjà, diégétiquement, cette importance des hauteurs et des profondeurs par l’évocation de ces deux cloches que les joueurs devront faire retentir.
Tiens, qui voilà ? Vous venez d’arriver dans le coin, c’est ça ? C’est cette histoire de destinée des Morts-vivants qui vous amène ? Vous n’êtes pas la première personne. Mais vous ne trouverez pas le salut ici. Vous auriez dû rester pourrir au Refuge des Morts-vivants. Mais c’est trop tard. Enfin, puisque vous êtes là… Laissez-moi vous donner un coup de main. En fait, il existe deux Cloches de l’éveil. L’une est en haut, à l’Église des Morts-vivants. L’autre est plus bas, dans les ruines à la base du Hameau du crépuscule. Si vous faites sonner les deux, quelque chose se produira… Intéressant, non ? C’est risqué, mais quelque chose me dit qu’il en faudra plus pour vous arrêter. Alors, allez-y… C’est bien ça qui vous amène, n’est-ce pas ? Sinon, pourquoi venir sur les terres maudites des Morts-vivants ? Ha ha ha ha…10
Si l’Église des Morts-vivants est une indication claire, et logique, de l’emplacement d’une cloche, il ne désigne malgré tout pas un lieu précis. En effet, l’église se trouve au sein de la Paroisse des Morts-vivants, et devient donc une indication topographique au sein d’un espace que les joueurs sont invités à parcourir. Le Hameau du crépuscule semble être un lieu précis, mais l’emplacement de la cloche demeure flou : un espace en ruine, difficilement sondable, et manifestement au plus loin du Hameau, donc au-delà de ce lieu qui est distingué et nommé. Ces quelques renseignements indiquent aux joueurs que sa progression vers deux objectifs est guidée par une exploration des hauteurs et les profondeurs qui avoisinent le sanctuaire, sans mention précise du cheminement à entreprendre. La topographie du sanctuaire et ses alentours amène naturellement les joueurs à se diriger vers un aqueduc au loin où un premier groupe d’ennemis annonce qu’il s’agit sans doute d’un chemin possible à prendre. La courte cinématique d’arrivée à Lige-Feu, dans laquelle les joueurs sont emmenés par un corbeau géant place déjà ces hauteurs comme les espaces à visiter, ou du moins à désirer visiter. Rien ne nous donne pourtant l’impression que l’on entreprend un chemin prédéterminé, pour plutôt laisser le choix aux joueurs d’avancer selon leur curiosité, avec une simple suggestion par la géographie (cet aqueduc étant effectivement la voie d’accès à la Paroisse des Morts-vivants qui conduit à la cloche du haut).
L’intérêt premier du level design réside dans cette verticalité, qui s’oppose immédiatement à de nombreuses productions contemporaines qui cherchent généralement à élargir leurs horizons afin de mettre en avant des prouesses techniques et esthétiques. Les grandes étendues recherchées prônent donc l’horizontalité comme richesse dans l’expérience de jeu. Dark Souls (et tout particulièrement le premier du nom) se distingue en proposant une confrontation à un espace à travers un monde empilé verticalement, par strates en quelque sorte interconnectées. Ce choix permet donc de proposer des défis (pour les programmeurs et surtout les joueurs) et de présenter des éléments narratifs d’une manière assez unique dans le paysage contemporain. Si l’on se concentre sur une carte d’un jeu dit de type « metroidvania »11, il est possible de le résumer par un important réseau d’étroits passages et couloirs avec quelques plus larges salles. Dans le cas de Darks Souls 1 et 2, la même description est possible, à la différence près que chaque section et région sont superposées verticalement. Cela est moins vrai pour Dark Souls 3 et Bloodborne où l’ensemble du jeu ne se construit pas ainsi.
Les joueurs ne sont pas amenés à uniquement bifurquer et serpenter dans ces contrées. Celles-ci se retournent aussi sur elles-mêmes à de nombreuses reprises par l’entremise de différentes connexions entre plusieurs zones, des ponts entre des espaces qui peuvent à première vue sembler éloignés (par leurs environnements propres et leur taille engendrant une impression de distance parcourue importante) ou à des niveaux de hauteur radicalement opposés. Les raccourcis – présents dans les quatre jeux – établissent des liens entre des régions géographiques distinctes qu’il ne sera pas nécessaire de retraverser complètement ou de la même façon, et de connecter logiquement et organiquement différentes zones. Cela incite et nourrit la soif d’exploration, mais surtout cela engendre une constante attente ou surprise de la part d’éléments que les joueurs pouvaient croire complètement conquis (ainsi le jeu se joue d’eux, en anticipant (en quelque sorte) et en exploitant leur vulnérabilité). C’est un labyrinthe d’Escher qui est proposé, dans lequel les joueurs doivent trouver leur marque ; et ces découvertes de raccourcis, de liens entre différents espaces, de passage et de retour vers une zone connue accordent véritablement un sentiment d’accomplissement et de réussite. Celui-ci se révèle à une petite échelle dans le cadre d’une courte section d’un espace délimité, mais il est aussi pertinent dans l’expérience individuelle des joueurs qui s’approprient les mécaniques dans leur ensemble, à l’échelle de l’aventure dans sa totalité. Cette perspective de jeu s’apparente aisément au survival horror12 et plus précisément à des types de jeux comme les premiers opus de la licence Resident Evil, où l’espace cloisonné et piégé était très éloquent pour ce level design qui amenait les joueurs à trouver le chemin le plus court et/ou le plus sûr entre deux lieux à relier.
Ces routes alternatives et raccourcis enrichissent l’exploration, offrent un répit face à d’autres routes plus longues et inhospitalières, tout en complexifiant la démarche de cartographie mentale des espaces découverts et en brouillant potentiellement le chemin prévu à ce stade de la partie13. Cette imbrication générale accroît l’effort nécessaire pour marquer son chemin tout en étant une opportunité de rendre le cheminement plus aisé. Ce double aspect accorde malgré tout une cohérence générale de l’univers déployé en reliant plusieurs de ses parties en un lieu imaginaire plus homogène, dans une dynamique de jouabilité donc, mais aussi possiblement dans une dynamique qui serait plutôt narrative. La cohérence des lieux d’un point de vue diégétique se retrouve renforcée, bien que ces strates presque archéologiques rendent difficile une lecture claire de ces espaces tel qu’un atlas pourrait le permettre.
Cette démarche d’emprise sur l’espace et son succès est soutenue par la mise en scène de la rencontre avec de nouvelles zones de jeu, aux architectures et aux topographies mûrement réfléchies. Nous pouvons illustrer ce propos avec deux exemples. Tout d’abord à travers la progression toujours plus profonde dans les Catacombes et le Hameau du Crépuscule. Le chemin parcouru semble toujours éloigner les joueurs de ce qui est familier et sécurisant. Pour se sauver de cet endroit, il faut littéralement escalader jusqu’à la surface au sein d’un labyrinthe d’échelles, de ponts instables, dans une obscurité peu rassurante. La moitié du jeu semble n’être fait que de méandres allant toujours plus profondément, au point que le jeu s’amuse avec nous en nommant un lieu « Les Profondeurs » qui est pourtant loin d’être la strate la plus profonde de cet univers. Ces lieux sont brièvement présentés comme un espace inconnu, insondé par nos semblables ; comme si l’exploration et le balisage revenaient aux joueurs seuls, premiers et derniers à oser cette exploration. Ces « Profondeurs » ne sont en effet qu’une étape avant le Hameau du crépuscule, puis les Ruines démoniaques et enfin Izalith la Perdue. La toponymie évoque déjà une gradation vers des régions ayant perdu une part de leur identité passée et tendant vers l’informe, jusqu’à une cité encore présente dans la mémoire collective au moment où le jeu se déroule, mais dont l’emplacement et l’accès paraissent inconnus14. Cette composition permet de donner surtout un caractère historique au monde développé. Alors que les joueurs s’avancent, ils peuvent observer de véritables strates, avec des constructions qui se superposent, comme s’ils remontaient le temps à mesure qu’ils s’enfonçaient toujours plus profondément15.
En contraste s’élèvent la Forteresse de Sen et Anor Londo, qui se révèlent dans une longue ascension malgré les méandres que représentent leurs espaces : d’abord une forteresse piégée et noueuse, et enfin la demeure de dieux, immense bâtisse aux nombreuses pièces imbriquées, aux larges couloirs, escaliers, cours, chapelles, multipliant les arcs et les chevrons sur les toitures. Rien ne prépare véritablement à cette épreuve, puisqu’après avoir sonné les deux cloches de l’Éveil, la suite des évènements est révélée à nouveau avec peu d’éléments16. Ainsi à Anor Londo, peu de contexte peut guider les joueurs sur la démarche à suivre à présent. Ce lieu inconnu (qui semble si éloigné des contrées visitées jusqu’à présent et presque détonnant parmi les environnements précédents) ne montre toujours pas un chemin évident, et surtout aucun point d’arrivée établi. Il est presque possible de réduire ces deux niveaux à une ascension continue. Comme le présente la cinématique de l’arrivée à Anor Londo, par les airs (sur le même principe que l’arrivée à Lige-Feu) la ville semble être un point culminant au milieu du ciel ensoleillé, sa construction étant elle-même fondée sur une verticalité audacieuse propre à démontrer la puissance divine de ses occupants17. Progressivement l’action se soulève en quelque sorte, les joueurs sont invités à ressentir une pulsion héroïque pour être parvenus à sortir de la forteresse piégée et d’atteindre le domaine des dieux. Miyazaki Hidetaka l’énonce en ces termes lors d’une interview pour le magazine Famitsu Dark Souls Design Works : « Après avoir sonné les cloches et dépassé les pièges de la forteresse de Sen, je voulais vraiment que le joueur se dise en lui « Oui ! Je l’ai fait ! »18.
Avant de reprendre le contrôle de son avatar, celui-ci est d’ailleurs déposé sur un promontoire qui domine une partie de la cité et fait directement face à la cathédrale, indication suggérée de la destination à atteindre. Un plan similaire se retrouve dans Dark Souls 3 lorsque les joueurs quittent les Catacombes de Carthus pour enfin retrouver la surface et faire face à la grande cité d’Irithyll de la Vallée Boréale. La sortie des grottes donne accès à une plateforme s’avançant vers le vide de la vallée sur laquelle se tient la ville. Cette composition du plan relève de la même dynamique, d’un sentiment de récompense et d’appétence accordé aux joueurs après de longues pérégrinations souterraines. L’analyse de ces deux plans nous permet finalement d’aborder la question du point de vue qui, certes, permet de magnifier au mieux certains environnements, mais qui s’avère être une composante essentielle de la bonne prise en main des mécaniques des jeux Dark Souls et de Bloodborne.
L’importance du point de vue : jouer avec les perspectives
L’aspect de méandre et de perte est délibérément suggéré par de larges espaces entourant les régions visitées, à travers des paysages désolés, des ruines ou des chaînes de montagnes au loin. Mais Miyazaki Hidetaka et ses équipes ont toujours soin d’offrir aux joueurs la possibilité si ce n’est de véritablement se repérer, du moins de prendre conscience de l’imbrication du paysage. Dans Dark Souls 3, après le combat avec Vordt de la Vallée Boréale sur le grand mur de Lothric, un point de vue en hauteur permet de reconnaître au loin d’importants lieux du jeu : la tour du Camp des Morts-vivants, qu’il est important de localiser et de rejoindre pour faciliter son avancée, le Pic du Dragon Ancien (zone complètement optionnelle et dont l’accès ne dépend que d’une simple action à effectuer avec son avatar à un endroit extrêmement précis) et la cour de l’Arbre géant maudit (qui est un boss optionnel). Il est suggéré aux joueurs l’idée selon laquelle tout espace qui se détache de l’horizon un peu incertain est un lieu dans lequel ils pourront se rendre, troublant la dualité de l’espace ludique et extra-ludique étudiée par Espen Aarseth19. C’est ce genre de panorama qui permet cette consolidation de l’espace global, et de tâcher de construire, de manière plus systématique, une cohérence d’échelle, et surtout une cohérence architecturale, géographique ; si ce n’est une harmonie de sens à travers toutes ces zones dont l’existence même n’est pas clairement explicitée directement pendant l’expérience de jeu. Cette proposition s’avère très efficace pour solidifier la géographie complète du monde. Et ce, notamment lorsqu’il est révélé aux joueurs quelques minutes plus tôt à travers le personnage d’Emma (la Grande prêtresse du Château de Lothric) que les Seigneurs de Cendres que le protagoniste poursuit ne sont pas ici, mais ont « rallié leurs domaines pour le moins animés, qui convergent au pied de ce château. » Ainsi, leurs régions propres tendent, sans raison encore précise, à s’entremêler inéluctablement autour cette bâtisse.
Cette suggestion est parfois déterminante pour l’approche d’un nouvel espace, dont la nature et l’architecture sont totalement nouvelles pour les joueurs. C’est dans ce sens qu’il est possible d’analyser l’entrée du Cauchemar de Mensis dans Bloodborne. L’appellation du lieu évoque d’emblée un environnement qui peut présenter des distorsions d’une réalité connue, et dont la visite sera forcément embarrassée par des difficultés encore mystérieuses. En effet, le protagoniste est d’abord projeté dans un court tunnel débouchant sur un terrain accidenté en pente montante. Quelques pas à l’extérieur suffisent à déclencher l’apparition de lames sanglantes se plantant dans le corps de l’avatar et causant une altération d’état mortelle. La source de l’attaque n’est pas visible, mais le dénivelé du terrain invite les joueurs à tourner leur caméra sur la droite. Les perspectives construisant ce premier décor (une pente abrupte qui introduit un large et haut château néo-gothique) et l’implantation des éléments géologiques alentour guident le regard vers la tour centrale du bâtiment qui s’illumine à intervalles réguliers. L’origine de la menace, son pattern, et le moyen de s’en prévenir afin de l’atteindre sont alors directement désignés uniquement par la construction de ce plan introduisant véritablement le niveau.
Mais cette importance du point de vue est avant tout un signe important donné aux joueurs pour mieux appréhender les mécaniques primaires du jeu. En effet, dès le tutoriel du premier opus, les joueurs sont incités à baliser l’espace du regard pour mieux l’appréhender, et faire siens les alentours pour s’en servir à bon escient. Le premier boss dans le Refuge Nord des Morts-vivants est rencontré dès les premières minutes du jeu, arrivant d’en haut au moment où le protagoniste pénètre dans une salle en ruine au toit complètement déchiré. Il est quasiment impossible à vaincre à ce moment, ou au prix d’une longue et dangereuse joute ; et c’est en tâchant d’éviter ses larges frappes que l’on découvre une porte dérobée dans la pièce qui permet de lui échapper. Il est néanmoins possible de prévoir cette attaque-surprise avant d’entrer dans l’arène si les joueurs sont amenés à tourner leur caméra vers le haut, permettant d’apercevoir ce premier gigantesque ennemi prêt à fondre sur eux depuis un balcon. Ce ressort, qui s’inscrit dans un tutoriel indirect, est plus manifeste à mesure que les joueurs parviennent à la fin de la zone, qui les conduit justement sur le balcon où le boss se trouvait initialement. Le rapport de force dans l’avantage du terrain est alors inversé. Cette élévation du personnage au-dessus de l’ennemi qui a pu causer une première défaite indique comment agir en laissant place à l’expérimentation : les joueurs apprennent à tirer avantage de cette position, en leur permettant une attaque en plongée qui cause beaucoup de dégâts en un coup. Ce retournement de situation nourrit un réel sentiment de victoire, d’accomplissement face à un obstacle qui semblait insurmontable jusqu’ici.
Malgré une difficulté assumée, les titres From Software mettent aussi en place une mécanique d’abord stratégique du combat, un « principe d’isolement ». Le jeu va tâcher généralement d’inciter ce comportement de prudence générale et d’observation lorsqu’un ou plusieurs ennemis vont se présenter dans le champ de vision. Cela est manifeste lors de l’introduction d’un nouveau type d’ennemi notamment, qui va généralement se faire dans un environnement légèrement isolé et avec des ouvertures afin de mieux appréhender son comportement et savoir quand et comment répliquer sans avoir son attention occupée par autre chose. Dès lors, les phases de combat s’affirment avant tout dans la nécessité de prendre l’avantage sur un terrain, qu’il faut observer et comprendre pour mieux percevoir ce qui pourrait l’habiter. Cette dynamique peut être une des raisons du choix de la caméra à la troisième personne et d’un champ de vision limité initialement à environ 35 degrés. Cela permet à la fois une tension et une intimité avec les environs, avec une visibilité dessinée comme un entonnoir, qui peut amener les joueurs à continuer leur mouvement de marche sans faire constamment attention à ce qui les entoure.
Le gameplay nourrit même une dynamique de positionnement à toutes les échelles : les jeux du studio sont connus pour présenter des ennemis qui sont toujours une menace, quelle que soit leur apparence vi
sible ou leur puissance présumée. L’intérêt des joueurs est toujours de repérer les ennemis à l’avance afin de prévoir leur attaque ou leur action dans l’environnement afin de mieux riposter. Donc placer des ennemis en embuscade et des pièges dans des zones très différentes est aussi essentiel, pour toujours surprendre par l’esthétique et l’imbrication des lieux, mais surtout pour que ce sentiment de défi, de surprise et de découverte des joueurs demeure constant. L’accès à l’avant-dernière salle du Tombeau des Géants dans Dark Souls illustre parfaitement cela. Cette zone présente déjà une caractéristique singulière, il est possible de parcourir ce niveau dans un noir presque complet, ou avec une faible torche, mais qui, occupant donc une main, empêche l’avatar de tenir un bouclier20. Le passage de ce niveau est une corniche étroite avec une paroi rocheuse sur la gauche, le vide sur la droite, toujours dans l’obscurité. L’avancée doit donc être idéalement prudente, et les actions mesurées. À cette difficulté du terrain s’ajoutent un archer au bout de cette corniche, rejoint par deux ennemis sortant du sol. La réaction attendue peut être celle de rejoindre au plus vite l’archer pour s’en débarrasser sur une plateforme plus confortable. Mais cet ennemi captant l’attention en dissimule un second sur son flanc droit, prêt à frapper, et qu’il n’est possible de discerner qu’en arrivant à leur hauteur.
La typologie d’ennemi s’adapte forcément à l’environnement dans lequel elle se déploie : cette zone sombre renferme des ennemis silencieux, attaquant à distance alors que la circulation des joueurs est tortueuse, ou en étant très mobile et rapide, lorsque l’avatar est très limité dans sa physique, sa visibilité et sa mobilité. Chaque espace et ses caractéristiques architecturales trouvent ses propres ennemis dans leur nature, mais aussi et surtout dans leurs actions et leurs positionnements sur le terrain d’interaction avec le protagoniste. Le level design de ces titres devient le premier ennemi des joueurs, dont les capacités de préhension et de réaction limitées doivent être toujours mises à profit à chaque modification de l’espace. Les mobs et autres pièges deviennent aussi à leur tour un moyen de baliser l’espace visité, afin de cartographier mentalement une zone, si d’autres marqueurs dans le décor (architecturaux ou naturels) ne sont pas suffisants pour cette démarche, associés aux « balises » que le système offre.
En effet, les feux de camp dans la trilogie Dark Souls et les lanternes dans Bloodborne forment certes des safe zone lorsque l’avatar interagit avec eux (ils permettent entre autres de récupérer son énergie, d’augmenter de niveau et de se téléporter à un autre feu de camp ou lanterne), mais leur faible nombre, et l’incertitude de les trouver sur son chemin complexifie à plusieurs moments l’assurance de la déambulation. Cela dit, le système accordé aux joueurs de pouvoir laisser des messages courts sur le sol pour guider ou tromper leurs semblables, et celui des fantômes d’autres joueurs croisés au fil de l’aventure, permettent de scander la progression en prévenant certaines erreurs et d’appréhender un événement avant d’entreprendre une action21. La socialisation avec l’espace trouve alors son expression la plus éloquente puisqu’elle repose sur des mécaniques communautaires, où les acquis et les expériences de chacun permettent de concert de décrire les espaces, avant d’interagir avec eux directement : par un système de codes que les joueurs se sont appropriés et ont développé entre eux, tout un réseau signalétique se superpose à une carte mentale individuelle. Grâce à ce dernier outil, fondamentalement tourné vers une dimension d’échanges, l’épopée vécue comme solitaire devient une vocation de « faiseur de mondes » collective22
Conclusion
À travers une disposition propre au level design, et une mise en scène relevant de la direction artistique globale, les espaces développés par le studio From Software s’affirment comme la principale épreuve à surmonter par les joueurs. La dynamique de confrontation avec le jeu n’est qu’une affaire d’espace : d’abord de balisage sensible, ensuite de positionnement dans ces espaces en tant qu’explorateur, mais aussi en tant que combattant, et enfin d’adaptation aux mécaniques proposées. Le ludus défini par Roger Caillois comme « […] le plaisir qu’on éprouve à résoudre une difficulté créée à dessein, arbitrairement définie, telle, enfin, que le fait d’en venir à bout n’apporte aucun autre avantage que le contentement intime de l’avoir résolue »23 trouve son application la plus expressive dans une confrontation totale au level design, avant même de considérer la difficulté propre au système de combat. Cette socialisation avec l’espace repose sur un contrat premier du joueur/avatar avec son environnement : il est toujours un intrus car rien ne justifie sa présence au sein de ces territoires, et celle-ci trouble le climat et l’ordre initial qui les régit. L’implication dans l’espace de l’avatar, et sa tentative de préhension de celui-ci, est finalement une incarnation mécanique de la mission qui lui incombe d’un point de vue diégétique.
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Wit Sébastien, « Les jeux qui bifurquent : narration non-linéaire et spatialisation de l’intrigue. Le cas du Tactical RPG. », Science du jeu, n°9, 7 juin 2018, URL : http://journals.openedition.org/sdj/1022 [consulté le 8 juillet 2020].
Vlad001, Dark Souls Map Viewer, Xentax, Game Research Forum, 14 avril 2012, URL : https://kayin.moe/?p=2218 [consultée le 2 avril 2021].
- La licence pose quelques jalons qui seront développés dans les jeux de la série dite des Souls. Elle se déroule dans un univers médiéval dans lequel le protagoniste avance dans une série de donjons où il doit rassembler items et clefs afin de progresser. Son chemin est ponctué par des confrontations avec des ennemis dont l’élimination est possible avec des armes de mêlée et des sorts. Leur utilisation se fonde sur une barre de stamina qui se vide progressivement après chaque action. De même, l’équipement de boucliers et d’armures est déjà possible. [↩]
- Ce terme s’inscrit dans le genre science-fictionnel et désigne des armures robotisées dans lesquelles les personnages se battent, et qui prennent généralement une forme anthropomorphe. Ce genre rassemble de nombreuses œuvres de mangas et d’anime, depuis Tetsujin Nijūhachi-gō (Mitsuteru Yokoyama, [L’homme de fer numéro 28], Kōbunsha, 1956-1966.) jusqu’à plus récemment l’anime Kōdo Giasu Hangyaku no Rurūshu (Gorō Taniguchi, [Code Geass: Lelouch of the Rebellion], Sunrise, 2006-2009). Pour une analyse du genre, se reporter à Napier J. Susan, Anime from Akira to Howl’s Moving Castle: Experiencing Contemporary Japanese Animation, 1ère édition, New York, Palgrave McMillan, 2001, p. 87. [↩]
- Notons toutefois que Miyazaki Hidetaka n’eut qu’un rôle de superviseur pour le deuxième opus de Dark Souls, étant, au moment du développement de ce jeu, en charge de la direction de Bloodborne. [↩]
- Nous n’aborderons pas l’utilisation des objets dont la description souvent riche permet de donner des informations sur le lore mais aussi plus pratiquement sur des moments précis de la cosmogonie du jeu et de son histoire, et aidant à exécuter certaines actions ou à réussir certaines épreuves. De même, l’inventaire comme espace particulier, dont l’ouverture ne signe pas une rupture dans l’action du jeu, ne sera pas analysé directement comme tel, bien que cette problématique mérite une étude approfondie. Nous resterons sur une notion d’espace à parcourir d’un point de vue géographique, topographique, qui n’est pas du seul ressort des joueurs, mais possible exclusivement à travers son avatar. [↩]
- Pour se représenter quelque peu le level design de ce premier opus, les lecteurs peuvent se référer au Dark Souls Map Viewer : Vlad001, Dark Souls Map Viewer, Xentax, Game Research Forum, 14 avril 2012, URL : https://kayin.moe/?p=2218 [consultée le 2 avril 2021]. [↩]
- « Our goal was to allow players to do what they want, define their own goals, make their own discoveries, embrace their own values, and find their own interpretations. Core to that was the importance of getting lost. This gives value and meaning to finding one’s way. » (Ma traduction), Mielke James, « ‘‘Dark Souls’’ Creator Miyazaki on ‘‘Zelda’’ Sequels and Starting Out. », Rolling Stone, 4 octobre 2016, URL : http://www.rollingstone.com/culture/news/dark-souls-creator-miyazaki-on-zelda-seques-w443435 [consulté le 26 février 2020]. [↩]
- Nous pouvons citer par exemple les mobs (ennemis contrôlés par le système de jeu) et PNJ (Personnages Non-Joueurs) changés en pierre dans Dark Souls 2, qui bloquent des accès et qui ne peuvent être délivrés qu’avec des items précis. Ces points de passage permettent de scander la progression en indiquant qu’un périmètre ou une région entière seront à découvrir prochainement. Un principe similaire se retrouve dans Dark Souls 3 lorsque l’accès à la ville d’Irithyll de la vallée boréale n’est possible qu’en possession d’une poupée récupérée auprès du boss d’une région précédemment visitée. [↩]
- Le Sanctuaire de Lige-Feu dans le troisième opus, ainsi que le Rêve du chasseur dans Bloodborne sont deux espaces occupant la même fonction. Mais l’accès aux territoires à explorer par les joueurs sont accessibles via téléportation depuis ce point central, et non en empruntant des chemins « physiques ». C’est le premier élément qui permet de distinguer quelque peu ces deux titres dans la dynamique globale de déambulation qui régit l’expérience de jeu. [↩]
- En effet, les quelques figures présentes à Lige-Feu semblent prendre le relais d’Oscar d’Astora, rencontré au Refuge Nord des Morts-vivants dans les premières secondes du jeu. Les joueurs le retrouvent blessé à la fin de ce niveau introductif, préférant se suicider que de devenir une Carcasse. Nicolas Castellon avance qu’il incarne une version altérée de « l’appel à l’aventure », deuxième étape dans le voyage du héros théorisé par Joseph Campbell ; en étant aussi le « mentor » du héros, qui encourage son voyage sans l’accompagner. Il permet le déclenchement de l’action en offrant au protagoniste l’opportunité de s’échapper du Refuge. Voir Castellon Nicolas, Dark Souls, Darker Heroes: How a Popular Video Game Subverts Campbell’s Monomyth to Create a Postmodern Hero’s Journey, mai 2015, URL : https://www.academia.edu/23692420/Dark_Souls_Darker_Heroes [consulté le 15 mai 2020]. [↩]
- Premier dialogue avec le guerrier découragé, qui complète l’annonce d’Oscar d’Astora. [↩]
- Ce terme est un mot-valise associant les licences Metroid (développée et éditée par Nintendo) et Castlevania (développée et éditée par Konami). Il regroupe plusieurs sous-genres de jeu vidéo d’action-aventure et de plateforme, qui se distinguent notamment par un level design fondé sur une carte non linéaire avec des segments interconnectés, qui ne sont pas toujours accessibles directement. Associée aux combats contre des ennemis, l’exploration est alors un fondement du gameplay. [↩]
- Ce genre de jeu vidéo, qu’il est possible de considérer comme un sous-genre du jeu d’action-aventure, entre dans la catégorie des fictions horrifiques. Son level design ainsi que son gameplay reposent généralement sur un sentiment de faiblesse et d’insécurité des joueurs face aux menaces environnantes (par un manque de moyens de se défendre ou encore une résistance très limitée de l’avatar), associé généralement à une dynamique de résolution d’énigmes et de puzzles. Pour prolonger cette réflexion, voir Baychelier Guillaume, « Voyages intérieurs et espaces clos dans les domaines de l’imaginaire (littérature, cinéma, transmédias), XIXe–XXIe siècles. », Le Fil à retordre, n°1, Université Bordeaux Montaigne, 30 juin 2020, URL : https://www.academia.edu/36277300/Imaginaires_des_espaces_clos_dans_les_jeux_vid%C3%A9o_horrifiques_cellules_sanctuaires_et_spatialit%C3%A9s_dynamiques?email_work_card=title [consulté le 8 juillet 2020]. [↩]
- Calleja Gordon, In-Game: From Immersion to Incorporation, 1ère édition, Cambridge, MIT Press, 2011, p. 80. [↩]
- L’adjectif désignant Izalith évoque aussi premièrement son statut de cité qui fut complètement détruite par la Flamme du Chaos suite aux expériences de la Sorcière d’Izalith, et qui disparut alors de la surface pour sombrer dans les profondeurs de la terre. Dark Souls 2, et dans une moindre mesure Dark Souls 3, conservent ce glissement dans la toponymie des lieux, passant par exemple de villes et d’espaces architecturaux clairement désignés (ou liés à une figure directement nommée) à des espaces plus flous, dont la qualification peut évoquer un élément de lore, mais plus généralement un cadre géographique. [↩]
- Cette caractéristique temporelle appliquée aux espaces du jeu rejoint la corrélation spatio-temporelle que la bifurcation et l’errance proposées aux joueurs incarnent. Cette gradation par la toponymie est indicative et ne conditionne pas toujours complètement l’expérience des joueurs qui gardent une certaine liberté de découverte et d’exploration. Comme l’analyse Sébastien Wit : « Bien évidemment, le joueur dispose de la liberté de traiter ces jeux comme toutes les autres fictions : d’adopter – même involontairement – une possibilité, et d’éliminer toutes les autres. Dans le labyrinthe, le voyageur peut choisir de ne pas se confronter à l’expérience de l’inextricable, de considérer qu’il n’y a effectivement qu’un seul chemin à suivre. Mais, pour les aventuriers audacieux, il est également possible de devenir partie prenante de l’enchaînement a-narratif entre les maps. Cela se traduit alors par la constitution de relations intertopiques à valeur péri-narrative. La relation causale perd ici sa préséance : elle n’est plus ce qui préside exclusivement à l’expérience de jeu, même si elle continue de structurer l’expérience du jeu ». Voir Wit Sébastien, « Les jeux qui bifurquent : narration non-linéaire et spatialisation de l’intrigue. Le cas du Tactical RPG. », Science du jeu, n°9, 7 juin 2018, URL : http://journals.openedition.org/sdj/1022 [consulté le 8 juillet 2020]. [↩]
- Une courte cinématique montre simplement l’ouverture de la porte de la Forteresse de Sen dont les joueurs n’ont pas encore connaissance, et la rencontre avec Frampt au Sanctuaire de Lige-Feu (laissée à ce moment à la décision des joueurs) nous demande juste de trouver un objet, le Calice royal, à Anor Londo. [↩]
- Notons qu’un plan rapide de cette cinématique laisse entrevoir au loin les Archives du Duc, donjon reculé sur les hauteurs environnant Anor Londo, dont il faudra trouver l’accès au cours de l’aventure. [↩]
- Otsuka Kadoman, « Dark Souls Interview. », Dark Souls Design Works, 1ère édition, Richmond Hill, UDON Entertainment, 2014, pp. 114-125. [↩]
- Espen Aarseth, « A Narrative Theory of Games. », FDG ‘12 : Proceedings of the International Conference on the Foundations of Digital Games, New York, Association for Computing Machinery, 29 mai 2012, p. 3, URL : https://www.researchgate.net/publication/254006015_A_narrative_theory_of_games [consulté le 29 mai 2020] : « A game can contain two types of space, the ludic and the extra-ludic, the arena of gameplay, and the surrounding non-playable space ». [↩]
- Un casque émettant une lueur peut-être découvert pour parcourir un peu plus sereinement cet espace, mais comme nous l’évoquions au début de cet article, tout repose sur le cheminement choisi et/ou suggéré aux joueurs l’amenant à entreprendre certaines sections de jeu avant d’autres. [↩]
- Les messages au sol se détachent du décor ; les fantômes des autres joueurs sont signalés par une tache de sang au sol, nécessitant la pression d’une touche pour les faire apparaître quelques instants. Ces deux fonctionnalités ne sont possibles que si les joueurs lancent leur partie en étant « en ligne ». Libre à eux, par goût ou par difficulté, d’avoir la possibilité d’utiliser ces outils, et de le faire plus ou moins systématiquement à chaque occurrence. [↩]
- Tremel Laurent, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia. Les faiseurs des monde, 1ère édition, Paris, Presses Universitaires de France, 2001. [↩]
- Caillois Roger, Les Jeux et les hommes, 1ère édition, Paris, Gallimard, 1958, p. 92 [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
laboimaginr2 (27 février 2025). Du sanctuaire de Lige-Feu au cauchemar de Mensis : polyphonie et polysémie des espaces vidéoludiques du studio From Software. Laboratoire des Imaginaires. Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13dzv