“Littérature environnementale et cultures de l’imaginaire : l’afrofuturisme au service de la cause écologique. Le personnage écologique dans Tè Mawon de Michael Roch”

Biographie auteur·rice : Doctorante en Littératures de langue française à l’Université de Montréal, Victoria Klein prépare une thèse monographique sur l’œuvre de Patrick Chamoiseau et s’intéresse plus particulièrement à la portée écocritique de ses textes. Elle a réalisé plusieurs interventions dans des colloques à travers le monde (Princeton University, Université de Mayotte – Mélange Caraïbe, Université de Rennes 2 en 2022, Montréal en 2023) pour présenter ses recherches sur les écrits caribéens. Diplômée d’HEC-Paris, agrégée de Lettres Modernes, elle a enseigné le français au lycée en France pendant trois ans en parallèle de l’obtention d’un master en Littérature Comparée à La Sorbonne (Paris IV). Victoria Klein est également engagée dans les milieux communautaire et féministe. Elle est la créatrice du collectif ENTRE et la curatrice d’une exposition présentant les enjeux de l’intersectionnalité dans les luttes féministes.

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Cette communication fait le lien entre les littératures de l’imaginaire et la littérature environnementale. Si l’écologie et la SFFF entretiennent des liens forts, leur rapport à la mimésis et au processus de choix s’inscrivent dans des tendances contraires. La littérature environnementale a eu tendance à présenter un sujet dissolu dans son entour, qu’on pourrait désigner comme un « (non-)sujet environnemental »¹. Néanmoins, une branche de l’écocritique (représentée par les travaux de Stéphanie Posthumus notamment) invite ainsi, suivant les prédications de Verena Andermatt Conley, à réfléchir le sujet écologique comme « se construi[san]t comme un ensemble de rapports et d’interactions plutôt que comme une entité individuelle et isolée »². Avec cette branche de l’écocritique, le personnage – sujet écologique – reprend un rôle central au sein de la littérature environnementale et ses choix articulent le propos fictionnel.

L’importance accordée aux liens du sujet avec son environnement invite à réfléchir le personnage écologique à l’aune de la pensée de la Relation exposée par Édouard Glissant qui, selon lui, « relie, relaie, relate »³. La philosophie de la Relation sous-tend l’idée que « toute identité s’étend dans un rapport à l’autre »⁴, le paysage en étant un élément actif. Cette coprésence des êtres et des choses, le fait relationnel, s’incarne dans la notion que Glissant a appelée « Tout-Monde ». C’est précisément sur cette philosophie et ce concept de « Tout-Monde » que s’appuie le dernier ouvrage de Michael Roch, Tè Mawon – roman de SF afrofuturiste. Il entrelace fiction – science-fiction – et philosophie ; surimpose même au lieu l’utopie d’un passé qui se dessine également comme devenir des personnages. Le roman met en scène un groupe de personnages dont la trame diégétique suit l’enchaînement des choix, en perspective de la quête du « Tout-Monde », qui serait un lieu utopique enfoui, supposément habité précédemment par les ancêtres de la Caraïbe. La vie et la quête de ces personnages prend place dans Lanvil, mégapole caribéenne à la pointe de la technologie, constellée d’écrans, dominée par les sphères corpolitiques. Lanvil est structurée de façon verticale, entre l’anwo Lanvil, vitrine technologique et numérique de la cité et l’anba Lanvil des laissés pour compte. Dans Lanvil l’écologie est une illusion, de même que la Relation. Dans Tè Mawon, la fiction se dessine comme un espace d’expérimentation, au travers de l’invention originale d’un univers SF cyberpunk dont les ramifications mettent au jour une proposition écologique et politique, centrée autour de l’idée de Relation.

L’analyse des choix de narration, à savoir la mise en place d’une contre-dystopie, vient révéler une réflexion écocritique. Dans Tè Mawon, l’écologie se dessine comme point de fuite de l’histoire, comme la proposition utopique au sein la dystopie. En effet les personnages évoluent dans l’univers dystopique de Lanvil : il s’agit d’un monde où les conséquences du réchauffement climatiques sont déjà advenues. Dans ce monde bétonné et stérile, l’écologie affirme sa présence en tant qu’elle est la grande absente. Le paysage est défini en contre-point c’est-à-dire désigné par la mention de ce qu’il était ou n’est plus : Lakarayib est rasée et les paysages apparaissent désormais projetés par des « nanobots ». Les corps sont asservis à la technologie ; ils sont mis au service du fait relationnel (communication et échanges permis par les « tradiktè ») par le biais de modification à l’instar des lunettes de vwè+ fusionnées à l’œil des traductrices. Néanmoins ces corps « technolojiké » sont ceux des « démounés », qui perdent dès lors une dimension humaine et se dénaturent figurant l’éloignement de la réalité de la terre mère, la tè gwa, l’argile de la Caraïbe, la tè mawon. En fait, la fusion du monde business et politique donne à voir un utilitarisme poussé à l’extrême et participe à la structuration de la société en classe, que le texte exprime sous forme de clivage géographique (notamment figuré par une isotopie de la verticalité).

Un second temps de l’analyse se focalise sur le processus de choix des personnages, leur rapport à l’environnement, en tant qu’ils sont « personnages écologiques »⁵ en quête d’un nouveau rapport à la terre. Le texte, proposant une fiction afrocentrée qui souligne la question du devenir des Antille, donne à lire une réflexion politique décoloniale. Se développe dans la fiction une isotopie du renversement qui représente la force révolutionnaire des personnages – et se dessine ainsi comme un outil de critique politique. Elle fait également signe vers la promesse d’un devenir écologique horizontal, en harmonie avec le Vivant : le Tout-Monde apparaît à la fin du roman comme une utopie où la restauration du Vivant est le fruit d’un travail collectif, tributaire de la théorie glissantienne de l’identité rhizome⁶. La promesse est donc relationnelle.

Tè Mawon, en donnant corps au concept d’Édouard Glissant, propose une mise en (science)-fiction du concept de Relation. Les personnages, sont caractérisés par un processus de choix qui les guide vers le Tout-Monde. C’est finalement une stratégie linguistique qui les détermine : en présentant la langue comme premier point de contact, ils véhiculent, par chaque parole proférée, l’impensable relationnel.

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1. POSTHUMUS, Stéphanie, « Écocritique et ecocritism. Repenser le personnage écologique », Figura, vol. 36, p. 16. [↩]
2. Ibid., p. 15. [↩]
3. GLISSANT, Édouard, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990, p. 187. [↩]
4. Id. [↩]
5. Nous reprenons ici la taxonomie de Verena Andermatt Conley (ANDERMATT CONLEY, Verena, “Eco-Subjects” in ANDERMATT CONLEY, Verena, CONLEY, Peter (dir.), Rethinking Technologies, Minneapolis, Minnesota University Press, 1993, p. 77-91). [↩]
6. Voir GLISSANT, Édouard, Introduction à une Poétique du Divers, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 45 : « La racine unique est celle qui tue autour d’elle alors que le rhizome est la racine qui s’étend à la rencontre d’autres racines. J’ai appliqué cette image au principe d’identité. Et je l’ai fait aussi en fonction d’une “catégorisation des cultures” qui m’est propre, d’une division des cultures en cultures ataviques et cultures composites ». [↩]

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